Retard de diagnostic : l’indemnisation de la perte de chance d’obtenir des séquelles moins graves

Conseil d’Etat, 20 mars 2013

Une femme éprouve des douleurs et des sensations de perte de sensibilité dans les jambes. Le 11 avril 2003, une IRM révèle une affection des disques intervertébraux pour laquelle une infiltration est réalisée. Les symptômes persistant, elle consulte le 15 mai 2003, un neurologue qui  les attribue à une dépression et prescrit un traitement correspondant.

Le 1er juillet 2003, du fait de l’aggravation de son état, la patiente se rend aux urgences et une tumeur des méninges à l’origine de la compression de la moelle épinière est diagnostiquée.

A la suite de l’ablation de cette tumeur, la patiente a présenté une paraplégie dont elle conserve de graves séquelles.

Elle assigne alors  le neurologue en responsabilité pour faute de diagnostic lui ayant causé une perte de chance d’éviter ce dommage.

La Cour d’appel retient la responsabilité pour faute du centre hospitalier mais ne fait droit que partiellement à la demande de la patiente. Elle estime que, compte tenu de la croissance très lente de la tumeur qui se développait depuis plusieurs années, le retard de quelques semaines apporté du fait de cette erreur à l’intervention chirurgicale, n’a pas compromis les chances de la patiente d’obtenir une récupération totale de ses facultés.

Le Conseil d’Etat annule la décision de la Cour d’appel et rappelle que dans le cas où la faute commise, lors de la prise en charge d’un patient dans un établissement public hospitalier, a compromis ses chances d’obtenir une amélioration de son état de santé ou d’échapper à son aggravation, le préjudice résultant directement de la faute et qui doit être intégralement réparé n’est pas le dommage corporel mais la perte de chance d’éviter la survenue de ce dommage.

La Cour d’appel en recherchant uniquement si la patiente a été privée d’une chance de récupération totale alors qu’elle devait également rechercher si elle avait été privée d’une chance de conserver des séquelles moins graves que celle dont elle demeurait atteinte a commis une erreur de droit.

Le résultat inesthétique d’une intervention de chirurgie esthétique n’est qu’un inconvénient de l’opération non indemnisable

Cour d’appel de Paris, 30 novembre 2012

Une patiente subit une intervention de chirurgie esthétique pour supprimer les tatouages de ses sourcils et les reconstituer à l’aide d’une greffe de cheveux.

Estimant le résultat insatisfaisant, notamment en raison d’une asymétrie du sourcil droit, elle assigne son chirurgien esthétique pour manquement à son obligation d’information et pour le caractère insuffisamment esthétique du résultat obtenu.

La Cour d’appel de Paris déboute la plaignante de ses demandes et confirme ainsi le jugement de 1ère instance.

Concernant l’obligation d’information, la Cour rappelle qu’elle est étendue en matière de chirurgie esthétique, le chirurgien devant informer le patient des conditions, risques, conséquences et complications de l’intervention ainsi que des répercussions physiques, esthétiques et psychologiques de l’acte pratiqué.

Elle évoque également la procédure de l’information du patient qui comprend notamment la remise d’un devis détaillé et le respect obligatoire d’un délai de réflexion de 15 jours avant de réaliser l’intervention afin d’obtenir un consentement éclairé du patient.

Enfin, elle rappelle qu’il appartient au médecin d’établir par tous moyens qu’il a rempli son obligation. Preuve rapportée en l’espèce puisque la patiente avait été soumise à deux consultations médicales avant l’intervention, la mention d’une information verbale avait été notée dans son dossier médical, une information complémentaire lui avait été donnée le jour de l’intervention et elle avait reconnu avoir été destinataire de l’information. Enfin, le délai de quinze jours avait, lui aussi, été respecté.

Concernant l’obligation de soins à l’égard de la patiente, la Cour rappelle que le chirurgien esthétique n’est pas tenu d’une obligation de résultat mais de moyens et qu’il appartient à la patiente de rapporter la preuve que le chirurgien aurait commis, dans la dispensation des soins, une faute dont il aurait résulté pour elle un dommage.

Or, selon le rapport d’expertise, le chirurgien avait réalisé une technique opératoire conforme aux données acquises de la science, la patiente n’ayant subi aucune complication opératoire, ni incapacité de travail, ni pretium doloris.

Le caractère insuffisamment esthétique du résultat obtenu ne constituant qu’un inconvénient de l’intervention, signalé dans la notice d’information, qui avait été portée à la connaissance de la patiente.

Perte de chance d’activité professionnelle

Cour de cassation, 1ère chambre civile, 28 novembre 2012

Un malade atteint d’une forme sévère d’hémophilie, s’est vu prescrire depuis l’enfance divers produits sanguins destinés à traiter cette affection, délivrés par le centre de transfusion sanguine de Strasbourg. Puis, en 1990, il fait l’objet de tests positifs au virus de l’hépatite C et est placé en invalidité par la CPAM de Moselle à compter du 1er mai 1992.

Les juges de 1ère instance condamnent in solidum l’Etablissement français du sang et son assureur envers le malade.

La Cour d’appel infirme le jugement qui avait intégralement indemnisé le patient et, à l’inverse, estime que la contamination du malade n’est constitutif que d’une perte de chance de poursuivre une carrière professionnelle normale et fixe à 25% la part du préjudice liée à la contamination.

La Cour de cassation ne suit pas le raisonnement de la Cour d’appel aux motifs que celle-ci avait expressément constaté, d’une part, que la contamination du malade par le virus de l’hépatite C était intervenue dans la chaîne causale de sa mise en invalidité et d’autre part, que l’intéressé avait pu exercer une activité de comptable pendant de nombreuses années malgré son hémophilie, ce dont il résultait que la contamination, qui avait causé la mise en invalidité et donc l’impossibilité pour la victime de continuer son emploi, lui avait occasionné une perte de gains professionnels actuels et futurs et non une simple perte de chance de poursuivre son activité professionnelle.

En retenant le contraire, la Cour d’appel a violé l’article L.1221-14 du code de la santé publique.

Le juge peut-il se fonder sur un rapport d’expertise amiable ?

Cour de cassation, chambre mixte, 28 septembre 2012

Un véhicule de marque Trigano a été détruit par un incendie.

La société d’assurance de la propriétaire assigne alors la société Trigano et son assureur pour obtenir leur condamnation solidaire au remboursement de l’indemnité qu’elle a versé à son assurée.

A l’appui de sa demande, la société d’assurance verse aux débats un rapport d’expertise établi par l’expert qu’elle a mandaté et pour qui l’origine du sinistre se situe dans un défaut de câblage de la centrale électrique du véhicule.

La Cour d’appel déboute la société d’assurance de sa demande qui se pourvoit alors en cassation en invoquant la possibilité de faire valoir à titre de preuve tout rapport d’expertise amiable, même s’il n’a pas été établi contradictoirement, dès lors qu’il est soumis à la libre discussion des parties.

La Cour de cassation rejette, à son tour, la demande de la société d’assurance en déclarant que si le juge ne peut refuser d’examiner une pièce régulièrement versée aux débats et soumise à la discussion contradictoire, il ne peut se fonder exclusivement sur une expertise réalisée à la demande de l’une des parties.

En l’espèce la Cour d’appel ayant relevé, tandis que la société Trigano et son assureur se prévalaient de l’inopposabilité du rapport d’expertise, que la société d’assurance fondait exclusivement ses prétentions sur ce rapport, a légalement justifié sa décision.

Le défaut de préparation psychologique du patient aux risques encourus

Cour de Cassation, 1ère chambre civile, 12 juillet 2012, n° de pourvoi 11-17510

A la suite d’une intervention réalisée par un chirurgien pour résoudre une hernie inguinale, un patient a souffert d’une atrophie douloureuse du testicule droit nécessitant l’ablation de cette glande avec pose de prothèse, par un autre chirurgien. En raison du déplacement de la prothèse, ce chirurgien en a posé une seconde, laquelle a éclaté quelques semaines plus tard lors d’une partie de tennis ; le patient a alors subi une nouvelle intervention pour la retirer.

Par la suite, le patient a cherché la responsabilité des chirurgiens, du fabricant de la prothèse ainsi que celle du laboratoire, tant en raison d’un manquement au devoir d’information que d’un défaut de sécurité de la prothèse.

La Cour d’appel a déclaré le premier chirurgien responsable, pour manquement à son obligation d’information à l’origine de la perte d’une chance, de moitié des conséquences dommageables de l’intervention initiale et des interventions subséquentes. Le second chirurgien ainsi que le laboratoire, responsables in solidum de la totalité des conséquences dommageables de la défaillance de la seconde prothèse.

Pour cela, elle retient que tenu d’une obligation de sécurité de résultat quant aux choses qu’il utilise dans la pratique de son art, le seul éclatement de la prothèse à l’occasion d’un sport qui n’est pas défini comme dangereux suffit à engager la responsabilité du chirurgien.

La Cour de cassation confirme la décision de la Cour d’appel concernant l’obligation d’information aux motifs que le droit pour tout patient d’être informé est un droit personnel, détaché des atteintes corporelles, accessoire au droit à l’intégrité physique. Aussi, la lésion de ce droit subjectif entraîne un préjudice moral, résultant d’un défaut de préparation psychologique aux risques encourus et du ressentiment éprouvé à l’idée de ne pas avoir consenti à une atteinte à son intégrité corporelle.

La Cour de cassation censure en revanche la décision concernant la sécurité de la prothèse estimant que la responsabilité des prestataires de services de soins qui ne peuvent être assimilés à des distributeurs de dispositifs médicaux et dont les prestations visent essentiellement à faire bénéficier les patients des traitements et techniques les plus appropriés à l’amélioration de leur état, ne relève pas, hormis le cas où ils en sont eux-mêmes les producteurs, du champ d’application de la Directive sur le produits défectueux du 25 juillet 1985. Leur responsabilité ne peut dès lors être recherchée que pour faute lorsqu’ils ont recours aux produits, matériels et dispositifs médicaux nécessaires à l’exercice de leur art ou à l’accomplissement d’un acte médical.

Information insuffisante sur les effets secondaires du Bactrim Forte

Cour de Cassation, 1e Chambre civile, 6 octobre 2011, n° de pourvoi 10-21709

Une patiente  s’est vue prescrire en 1987 par son médecin otorhino-laryngologiste du Bactrim Forte par pulvérisations pendant 8 jours. A l’issue de ce traitement, la patiente a présenté des lésions cutanées caractéristiques d’un syndrome de Lyell, entraînant son hospitalisation ainsi qu’une incapacité temporaire et d’importantes séquelles.

La responsabilité du médicament litigieux ayant été confirmée Mme A a cherché la responsabilité du laboratoire ainsi que celle de son médecin, tant en raison du défaut du produit que d’un manquement à leur devoir d’information.

Tandis que l’annexe II de l’Autorisation de mise sur le marché, destinée au public, ne mentionnait que de simples « manifestations cutanées » pour effets indésirables, l’annexe I de l’AMM, réservée aux professionnels, mentionnait des « cas de nécrolyse épidermique imprévisibles et parfois mortels (syndrome de Lyell) ».

La Cour d’appel a refusé de considérer que l’information donnée par le laboratoire était insuffisante et a considéré que le médicament répondait donc à l’usage qui pouvait être raisonnablement attendu. Elle a en effet estimé que la circonstance que le laboratoire n’ait pas produit matériellement la notice d’information 1987 du Bactrim Forte, insérée dans le conditionnement du médicament et non conservée dans ses archives, n’était pas constitutive d’une faute dès lors que cette notice était nécessairement conforme administrativement à l’AMM de l’époque qui faisait état de la survenue possible du syndrome de Lyell.

La Cour de Cassation censure partiellement la décision de la Cour d’Appel de Versailles aux motifs que celle-ci, statuant sur le fait que l’information donnée par le laboratoire Roche à Mme Z sur les effets secondaires du Bactrim Forte était suffisante, a dénaturé les pièces produites lesquelles se contredisaient l’une l’autre quant aux effets secondaires.

En outre, la Cour de Cassation a également critiqué la décision de la Cour d’Appel de Versailles qui a statué, par simple réouverture des débats, sur l’existence d’une perte de chance de la victime compte tenu du défaut d’information sur les effets secondaires alors même que les parties n’avaient pas conclu sur celle-ci, ne respectant pas la procédure en vigueur.

 

 

Publication sur Internet d’images IRM et secret médical

Décision de la Chambre disciplinaire nationale  de l’Ordre des médecins du 20 janvier 2012

Une patiente saisit la Chambre disciplinaire de première instance de Rhône-Alpes d’une plainte sur le fondement de la violation par un médecin radiologue du secret médical. En effet, cette plaignante soutient que des informations nominatives la concernant décrivant sa pathologie, ses antécédents médicaux, les clichés de son IRM et le compte rendu d’examen rédigé par le praticien ont été mis en ligne sur un site internet destinés à l’information des manipulateurs radio salariés du GIE, administrant le centre d’IRM dans lequel la patiente avait subi un examen radiologique.

La publication de ces informations a de surcroît été découverte par hasard par le fils de la plaignante laquelle avait gardé le secret sur son état de santé à l’égard de toute sa famille. Apprenant cette violation manifeste du droit au secret des informations concernant sa patiente, le médecin radiologue a pris la précaution d’adresser au Directeur du GIE un courrier de protestation stipulant que la publication sur le site internet des manipulateurs radios avait été faite à son insu et sans son autorisation et interdisant à l’avenir au GIE de diffuser quelque document que ce soit issu des dossiers des patients.

La Chambre disciplinaire de première instance a condamné le médecin mis en cause à une sanction d’interdiction d’exercice d’un mois avec sursis tandis qu’une plainte pénale, déposée par la patiente, ne faisait l’objet d’aucune suite.

Le médecin poursuivi a donc choisi de faire appel devant la Chambre disciplinaire nationale en soutenant que les manipulateurs radio, eux-mêmes soumis au secret professionnel, n’étaient pas ses propres salariés et qu’il n’avait donc aucun pouvoir de direction à leur égard. Il soutenait également que les informations nominatives étaient confiées au GIE à des fins d’archivage et de traçabilité des soins, ce qui ne donnait aucun droit aux manipulateurs radio de disposer de ces informations.

La Chambre disciplinaire nationale dans cette décision du 20 janvier 2012 relaxe le médecin des fins de la poursuite diligentée contre lui, en retenant effectivement l’absence de lien de subordination entre le médecin et les manipulateurs radio, responsables en revanche de la violation du secret professionnel. La Chambre disciplinaire retient également le fait que seuls les manipulateurs radio disposaient des codes d’accès et des autorisations pour accéder aux données de la patiente et que la constitution d’archives du GIE ne saurait être assimilée à une communication volontaire, délibérée et imprudente qui, elle, serait constitutive d’un manquement aux dispositions de l’article R.4127-72 du code de la santé publique.

L’ expert judiciaire doit soumettre au contradictoire des parties l’ensemble des pièces utilisées dans son rapport

Cour de Cassation, 1ère chambre civile, 1er février 2012, n° de pourvoi 10-18.853

La Cour de Cassation annule la décision’une Cour d’Appel du 6 avril 2010 qui avait refusé d’annuler un rapport d’expertise, auquel l’Expert avait annexé des pièces – produites à sa demande par un huissier qu’il avait mandaté – qu’il n’avait pas soumises aux parties avant le dépôt de son rapport.

La Cour de Cassation retient que l’Expert, non seulement doit soumettre son pré-rapport à toutes les parties afin d’en recueillir les observations utiles à l’élaboration du rapport définitif, mais qu’il doit également soumettre toutes les pièces et annexes de ce rapport aux parties pour observations avant de pouvoir lui-même les exploiter.

Naissance antérieure à la loi « anti-Perruche » mais action en justice postérieure : quelle solution ?

Cour de Cassation, 1ère civ., 15 décembre 2011, n°10-27–.573

Une action en responsabilité est engagée en 2006, à l’encontre d’un médecin et d’une clinique, par les parents et la soeur d’un enfant né en 1988. Celui-ci est en effet atteint d’un handicap grave et les demandeurs souhaitent d’obtenir l’indemnisation de leurs préjudices trouvant leur origine dans l’impossibilité d’interrompre la grossesse en raison d’une erreur de diagnostic prénatal.

La Cour de cassation a débouté les demandeurs. Par un arrêt du 15 décembre 2011, la première chambre civile de la Cour de cassation a précisé que les dispositions « anti-Perruche » de la loi Kouchner (insérées à l’article L. 114-5 du Code de l’action sociale et des familles) ne s’appliquent pas aux dommages survenus antérieurement à son entrée en vigueur, c’est-à-dire qu’elles ne concernent pas les naissances survenues avant le 7 mars 2002, même si la date d’introduction de la demande en justice est postérieure à cette date.

Laisser un dossier médical dans le couloir d’un service hospitalier est un défaut d’organisation

Cour Administrative d’Appel de Nantes, Arrêt n°09NT00165, 15 octobre 2009.

M. X, hospitalisé du 23 mai au 7 juin 2006 dans le service de  dermatologie du CHU de Caen, a interjeté appel de la décision du Tribunal Administratif de Caen, lequel avait rejeté sa demande tendant à ce que le CHU de Caen soit déclaré responsable de la divulgation d’une information médicale le concernant.

Lors d’une visite de la mère d’un patient majeur et tandis que l’infirmière lui dispensait des soins, celle-ci a pu avoir accès à la feuille de soin, laissée sans surveillance sur un chariot dans le couloir, ladite feuille de soins mentionnant la séropositivité du patient qui avait, dès son arrivée au CHU, demandé formellement à ce que sa séropositivité ne soit pas communiquée à ses parents.

Dans son arrêt du 15 octobre 2009, la Cour Administrative d’Appel de Nantes considère donc que, bien que « les faits dont il s’agit n’aient pas affecté les relations de M. X avec sa mère, ils ont néanmoins porté atteinte au droit du requérant de conserver le secret sur son état de santé ». On peut préciser que le requérant évaluait son préjudice à la somme de 40.000 euros. Mais considérant que M. X n’alléguait pas avoir exposé d’autres frais que ceux pris en charge par l’État au titre de l’aide juridictionnelle, la Cour Administrative d’Appel de Nantes a ramené ses prétentions à la somme de 3.000 euros et condamné au paiement le CHU de Caen.