Un médecin d’assurance ne peut accepter une mission d’expertise judiciaire

A la suite d’un accident de la circulation, un patient subit une opération dont il va conserver des séquelles importantes sous la forme d’une paraplégie.

L’assureur du responsable de l’accident, la MACIF, indemnise les dommages corporels de la victime et, subrogé dans ses droits, sollicite du tribunal administratif de Rouen qu’il condamne le CHRU de Rouen dont l’assureur est la SHAM.

Sur le fondement du rapport rendu par l’expert judiciaire, le tribunal administratif rejette sa demande, rejet confirmé par la cour administrative d’appel du ressort, laquelle relève que la responsabilité du CHRU de Rouen ne peut être engagée, ni sur le fondement d’une faute dans l’organisation ou le fonctionnement du service, ni à raison d’un manquement au devoir d’information du patient.

Le même arrêt ordonne une expertise portant sur l‘intervention chirurgicale subie par la victime de l’accident.

Il se trouve que l’expert désigné était, non seulement inscrit sur la liste des experts judiciaires mais avait également la qualité de médecin conseil de la SHAM pour laquelle il effectuait toujours des missions au moment de sa désignation par la cour administrative d’appel.

La MACIF soulève l’impartialité de l’expert.

La cour administrative d’appel ne le suit pas dans cette voie et c’est devant le Conseil d’Etat que la question de l’impartialité de l’expert se pose.

Dans un arrêt très clair, le Conseil d’Etat précise qu’il appartenait au médecin expert de refuser la mission d’expertise, en application de l’article R4127-105 du code de la santé publique, lequel dispose :

« Un médecin ne doit pas accepter une mission d’expertise dans laquelle sont en jeu ses propres intérêts, ceux d’un de ses patients, d’un de ses proches, d’un de ses amis ou d’un groupement qui fait habituellement appel à ses services. »

En l’occurrence, la SHAM était bien un « groupement » qui faisait habituellement appel aux services de ce médecin conseil.

Le juge n’est pas lié par la transaction conclue entre l’ONIAM et les victimes

Conseil d’Etat, 5ème – 6ème chambres réunies, 7 juin 2023, 448871

Le Conseil d’Etat rappelle, dans un arrêt récent, que les avis rendus par la CCI et les transactions qui en découlent, n’ont pas l’autorité de la chose jugée.

Il s’agissait en l’espèce de préjudices subis par un enfant à la naissance.

L’avis de la CCI a retenu le défaut de surveillance de grossesse de la mère et a partagé en 3 la responsabilité de ces défauts de surveillance :

  • 80 % pour le Centre Hospitalier de Cornouaille,
  • 10 % pour le Centre Hospitalier de Poissy-Saint-Germain-en-Laye,
  • 10 % pour le Département des Yvelines.

Le demandeur à l’indemnisation a dû supporter le refus des assureurs de ces 3 établissements de verser l’indemnisation qui lui revenait.

L’ONIAM s’est donc substitué aux assureurs, en application des dispositions du code de la santé publique.

A l’occasion de cette procédure, le juge administratif rappelle qu’il n’est lié, ni par l’avis de la CCI ni par les transactions signées entre l’ONIAM et la victime.

Il me semble que l’intérêt de l’arrêt réside également dans la description du très long parcours indemnitaire de cette famille :

L’enfant nait en 2002, l’exécution des premières transactions avec l’ONIAM n’interviendra qu’à compter de 2010 et se déroulera, dans un premier temps, jusqu’en 2013, via la signature de pas moins de 21 protocoles.

Puis en 2017, 3 nouveaux protocoles seront nécessaires.

Le dispositif amiable des CCI, crée par la loi du 4 mars 2002, censé permettre aux victimes d’accélérer le temps de leur indemnisation a manifestement, dans ce dossier, échoué, tant en raison des délais beaucoup trop importants que cette famille a dû subir que, très probablement, au niveau des indemnisations qui lui ont été proposées par l’ONIAM dont on sait que le référentiel est le plus bas de ceux appliqués en France.

PREJUDICE D’AGREMENT

L’arrêt du bricolage est un préjudice d’agrément.

Cour de cassation, 2ème Ch. Civ., 20 avril 2023, n°22-11.639

Employé pendant 32 ans au sein de la société PECHINEY METALLURGIE, un salarié développe une pathologie en lien avec son exposition à l’amiante qui est reconnue comme maladie professionnelle par la CPAM. Le FIVA indemnise la victime et ses ayants droit à la suite de son décès puis saisit le pôle social du tribunal judiciaire en reconnaissance de la faute inexcusable de l’employeur de la victime.

L’arrêt rendu le 20 avril 2023 par la Cour de cassation, se prononce sur une activité de loisirs, souvent évoquée par des victimes et parfois difficilement retenue par les juridictions : l’activité régulière de bricolage.

C’est d’ailleurs en contestation de ce préjudice que l’employeur de la victime forme un pourvoi devant la Cour de cassation.

La cour d’appel avait en effet considéré que l’interruption d’une activité régulière de bricolage, causait à la victime un préjudice distinct du déficit fonctionnel.

La cour d’appel avait relevé que la victime ne pouvait plus pratiquer ses « activités régulières (bricolage) » pour lui accorder réparation au titre du préjudice d’agrément.

L’employeur soutient, devant la Cour de cassation, que le préjudice d’agrément est celui qui résulte d’un trouble spécifique lié à l’impossibilité pour la victime de continuer à pratiquer régulièrement une activité sportive ou de loisir.

En d’autres termes, l’employeur considérait que le bricolage n’était pas une activité, ni sportive ni de loisir.

La Cour de cassation rejette cette argumentation et estime que la cour d’appel était bien fondée à considérer qu’en se plaignant de la cessation des activités de bricolage, la victime avait rapporté, effectivement, la preuve de l’existence d’un préjudice d’agrément qu’il convenait donc d’indemniser.

RETARD DE DIAGNOSTIC

Un retard de diagnostic, même fautif, n’est pas toujours constitutif d’une perte de chance.

Cass. Civ. 1, 29 mars 2023, 22-13.630, Inédit

Une femme fait réaliser une mammographie de contrôle en septembre 2010.

Cette radiographie conclut à l’absence de lésions décelables.

Néanmoins, et dès le 15 février 2011, un diagnostic d’adénocarcinome mammaire est posé. Elle débute alors une chimiothérapie.

La progression de la maladie l’obligera à subir une mastectomie et un curage axillaire le 30 août 2011.

La patiente, pensant que le retard de diagnostic a rendu inévitable la mastectomie et le curage axillaire qu’elle a dû subir, recherche la responsabilité de la radiologue et saisit la CCI.

La CCI lui a donné raison et conclut effectivement à la responsabilité de la radiologue mais son assureur de responsabilité professionnelle refuse de lui faire une offre d’indemnisation.

La patiente assigne donc l’assureur en indemnisation de ses préjudices découlant du retard de diagnostic devant le tribunal judiciaire.

La patiente soutient qu’un retard de diagnostic de 5 mois d’une tumeur cancéreuse impliquait nécessairement la perte d’une chance de prise en charge précoce, de nature à améliorer son traitement et probablement à lui éviter la mastectomie.

La demanderesse, au pourvoi, reproche également à la cour d’appel de s’être exclusivement fondée sur le rapport d’expertise judiciaire qui précisait que les Experts étaient dans « l’incapacité d’évaluer une éventuelle perte de chance de la patiente d’échapper à une mastectomie. »

La patiente produisait aux débats un avis d’un médecin conseil de la CPAM, qui lui, avait retenu la réalité de la perte de chance et du lien de causalité, en soulignant que la prise en charge du cancer du sein, à un stade précoce, aurait nécessité des soins sur une période plus courte et qu’il n’y aurait pas eu de mastectomie totale.

Enfin, la demanderesse relevait que le rapport d’expertise précisait que si le diagnostic avait été posé dès le mois de septembre, la chimiothérapie aurait été « probablement indiquée ».

La Cour de cassation ne retient aucun de ces arguments et déboute la demanderesse de sa demande de réformation de l’arrêt de la cour d’appel, elle précise que :

« Une perte de chance présente un caractère direct et certain chaque fois qu’est constaté la disparition d’une éventualité favorable. Dès lors, il n’y a pas de perte de chance lorsqu’il est tenu pour certain que la faute n’a pas eu de conséquence sur l’état de santé du patient. »

La Cour de cassation confirme que la radiologue mise en cause avait bien commis une erreur fautive d’interprétation de l’imagerie et que celle-ci était bien à l’origine d’un retard de diagnostic du cancer du sein de la demanderesse.

Cependant, elle approuve le raisonnement de la cour d’appel qui précise qu’en réalité dès septembre 2010, la patiente était déjà porteuse d’une lésion qui s’accompagnait d’un carcinome.

En d’autres termes, que la maladie était déjà suffisamment avancée pour considérer qu’une mastectomie aurait été indispensable dès le mois de septembre 2010.

Dans ces conditions, la cour d’appel n’avait même pas à se prononcer sur l’avis contraire du médecin conseil de la sécurité sociale.

De ce fait, la Cour de cassation considère que la demanderesse n’a perdu aucune chance d’éviter une mastectomie et un curage axillaire.

LOGEMENT ADAPTE

Le logement des proches de la victime peut être aménagé pour l’accueillir.

Conseil d’Etat, 5ème et 6ème Chambres réunies, 21 mars 2023, n°454374

A la suite d’une intervention, une jeune femme de 18 ans est victime d’un accident médical non fautif qui la laissera lourdement handicapée.

La cour d’appel a confirmé qu’il incombait bien à l’ONIAM d’indemniser ses préjudices au titre de la solidarité nationale et reconnaissait que la gravité de son état de santé nécessitait l’aménagement de son appartement.

Malgré la reconnaissance du principe de cette indemnisation, les juges d’appel refusent la demande de sursis à statuer présentée par celle-ci, aux fins de voir désigner un expert pour évaluer le coût des travaux d’aménagement de son domicile.

La cour a estimé qu’elle avait la possibilité de faire établir elle-même des devis pour la réalisation de ces travaux et qu’une expertise n’était donc pas nécessaire.

Le Conseil d’Etat censure le raisonnement de la cour précisant qu’il lui revenait de faire usage de ses pouvoirs d’instruction pour que soit précisé l’étendue de ce préjudice.

On ne peut que saluer cette censure du Conseil d’Etat, l’aménagement du logement d’une personne lourdement handicapée relève de l’appréciation de professionnels compétents pour proposer les aménagements les plus appropriés à sa situation de handicap.

L’originalité de l’arrêt réside cependant sur un autre point.

En effet, la jeune femme sollicitait qu’elle soit également indemnisée pour l’aménagement du domicile de ses parents, chez lesquels elle a d’abord résidé pendant la période immédiatement postérieure à son hospitalisation, puis postérieurement à sa consolidation.

Il convient de préciser que ses deux parents étaient séparés et que l’aménagement du logement familial puis celui de la mère de la victime avaient donc été nécessaires.

La cour n’a pas accepté cette demande d’indemnisation, prétextant que la victime ne justifiait pas de préjudices qu’ils lui étaient personnels, ce d’autant que le coût de l’aménagement des deux appartements avaient été exposé par ses parents.

Le Conseil d’Etat censure ce raisonnement reprochant à la cour d’appel de ne pas avoir tenu compte de ce que le domicile familial constituait le domicile principal de la victime pour la période immédiatement postérieure à son hospitalisation.

Le Conseil d’Etat reproche également à la cour, pour la période postérieure à la consolidation, de ne pas avoir recherché si les deux logements parentaux ne constituaient pas des lieux entre lesquels elle justifiait de partager son temps et qu’il s’agissait d’une contrainte imposée par la nature de la gravité de son état de santé.

Bien qu’il s’agisse d’un arrêt d’espèce, on retiendra que le Conseil d’Etat prend en compte ici l’environnement familial dans lequel est contrait d’évoluer une personne lourdement handicapée.

 

OFFRE INSUFFISANTE DE L’ASSUREUR

L’offre indemnitaire insuffisante de l’assureur constitue un préjudice autonome

Conseil d’Etat, 5ème-6ème Chambres réunies, 21 mars 2023, n°452939

A la suite d’une chute d’un toit, un homme est admis dans un état grave au sein d’un établissement hospitalier.

Il décèdera dans les suites.

Par un jugement du 29 décembre 2017, le tribunal administratif a jugé que le centre hospitalier avait commis une faute dans le diagnostic et la prise en charge médicale de ce patient, ayant entrainé une perte de chance de 30 % d’éviter le décès.

Le juge de première instance condamne le centre hospitalier et son assureur, la SHAM, à indemniser les préjudices des ayants droits du patient.

Le dossier vient jusque devant le Conseil d’Etat, les requérants contestant l’oubli par la cour d’appel de l’indemnisation de certains de leurs frais de santé et préjudices.

Ils sollicitent également l’indemnisation de leur préjudice lié au caractère insuffisant de l’offre d’indemnisation faite par la SHAM.

En effet, les requérants avaient d’abord saisi la Commission de Conciliation et d’Indemnisation des accidents médiaux afin d’être indemnisés de leurs préjudices.

A la suite de l’avis rendu par celle-ci, la SHAM leur avait fait une offre d’indemnisation qu’ils jugeaient insuffisante.

Il faut rappeler qu’il résulte de l’article L.1142-14 alinéa 9, du Code de Santé Publique que :

« Si le juge compétent, saisi par la victime qui refuse l’offre de l’assureur, estime que cette offre était manifestement insuffisante, il condamne l’assureur à verser à l’office une somme au plus égale à 15 % de l’indemnité qu’il alloue, sans préjudice des dommages et intérêts dus de ce fait à la victime. »

Sur le fondement de cet article, le Conseil d’Etat estime que le préjudice résultant d’une offre insuffisante est constitué « par le fait, pour la victime ou ses ayants-droits, de d’être vu proposer une offre d’indemnisation manifestement insuffisante au regard du dommage subi, et d’avoir dû engager une action contentieuse pour en obtenir la réparation intégrale, en lieu et place de bénéficier des avantages d’une procédure de règlement amiable. »

Le Conseil d’Etat estime que le juge d’appel aurait dû condamner la SHAM au paiement de cette indemnité et surtout que le préjudice qui résulte de l’offre insuffisante est un préjudice distinct des autres préjudices moraux que la victime peut subir dont la réparation incombe à l’assureur.

ETAT ANTERIEUR LATENT

Un état antérieur avéré mais sans manifestation avant l’accident, ne doit pas diminuer l’indemnisation de la victime.

Cour de cassation, Chambre Civile 2, 9 février 2023, n°21-12.657

La victime d’un accident de la circulation conteste que la cour d’appel ait pu exclure son indemnisation au titre de ses pertes de gains professionnels futurs.

En effet, cette femme qui exerçait la profession de sage-femme, soutenait que depuis l’accident elle ne pouvait plus supporter la station debout, ce qui l’avait rendue inapte à exercer sa profession.

La cour d’appel refuse son indemnisation à ce titre, précisant qu’elle présentait, avant son accident un état arthrosique dégénératif de son rachis cervical, qui évoluait lentement et pour son propre compte.

La victime saisit donc la Cour de cassation pour contester cette argumentation de la cour d’appel.

C’est l’occasion pour la Cour de cassation de rendre un arrêt de principe sur le fondement d’un des piliers du droit de la responsabilité civile, le principe de la réparation intégrale, sans perte ni profit pour la victime.

En effet, la cour suprême rappelle à cette occasion une très ancienne jurisprudence, selon laquelle l’indemnisation d’un préjudice corporel ne saurait être réduit en raison d’une prédisposition pathologique « lorsque l’affection qui en est résulté n’a été provoquée ou révélée que par le fait dommageable. »

L’impossibilité pour cette sage-femme de se tenir debout est bien en lien avec l’accident de voiture dont elle a été victime et non avec son état arthrosique.

Cette précision apportée par la Cour de cassation, même si elle reste tout à fait classique, illustre une nouvelle fois la confusion, souvent réalisée lors de l’expertise, entre les antécédents du patient et un état antérieur dit « imputable » c’est à dire symptomatique avant l’accident dont souffre la victime.

EXPERTISE MEDICALE

Le médecin d’assurance ne peut communiquer à l’expert judiciaire un rapport d’expertise amiable.

Conseil d’Etat, 1ère et 4ème Chambres réunies, 15 novembre 2022, n°441387

Un assuré MACIF est victime d’un accident de la circulation provoqué par un poids lourd, assuré auprès d’AXA.

Dans un premier temps, une procédure d’indemnisation amiable est mise en œuvre, au cours de laquelle une expertise amiable est réalisée par un médecin d’AXA.

Cette procédure d’indemnisation amiable échoue et la victime saisit le tribunal d’une demande d’expertise judiciaire. Dans le cadre des opérations d’expertise judiciaire, le médecin conseil d’AXA communique, à l’expert judiciaire, sans le consentement de la victime, le rapport d’expertise qu’il avait réalisé pendant la phase amiable.

Cette dernière saisit les instances disciplinaires de l’Ordre des Médecins pour violation du secret médical. La chambre disciplinaire de première instance lui donne raison et inflige au médecin d’AXA un blâme.

Cependant, cette sanction est réformée par la chambre disciplinaire nationale de l’Ordre des Médecins.

C’est à la suite de cette décision que le conducteur saisit le Conseil d’Etat. Celui-ci va contredire la chambre disciplinaire nationale considérant que le médecin d’AXA a bien violé le secret professionnel.

En effet, le Conseil d’Etat rappelle que le partage d’informations prévu par le Code de la Santé Publique et appelé « secret partagé », n’est possible qu’à condition que ce partage soit nécessaire à la prise en charge médicale d’une personne, qu’il se fasse entre professionnels de santé, faisant ou non partie de la même équipe de soins, et qu’il suppose le consentement préalable du patient.

Pour le Conseil d’Etat, et à juste titre, la situation d’une expertise judicaire n’entre pas dans les conditions d’application de l’article 1110-4 du Code de la Santé Publique.

En effet, on peut difficilement assimiler une expertise judiciaire à une situation de soins et à tout le moins, compte tenu de l’extrême sensibilité des informations contenues dans un rapport d’expertise médicale touchant bien sûr aux données de santé de la victime mais également à sa situation familiale, professionnelle, etc…., celui-ci ne peut circuler sans le consentement du principal intéressé.

Enfin, contrairement à ce qui était soutenu par le médecin d’AXA, on ne peut considérer qu’un expert d’assurance et un expert judiciaire forment une « équipe de soins » au sens où l’entend le code de la santé publique, ce qui dispenserait le patient de donner son consentement à la circulation du rapport d’expertise amiable.

EVALUATION DE PREJUDICE – Assistance par tierce personne, frais de logement et véhicule adaptés

L’assistance par tierce personne temporaire est due pendant l’hospitalisation de la victime, les frais de logement et de véhicule doivent être adaptés aux besoins spécifiques de la victime

Cour de cassation, Chambre Civile 1, 8 février 2023, n°21-24.991

A l’issue du remplacement d’une prothèse de genou en septembre 2011, une patiente développe une infection qui obligera les médecins à retirer sa prothèse et malheureusement à l’amputer au niveau de la cuisse.

A la suite de l’expertise médicale, qui reconnaîtra la nature nosocomiale de l’infection, la patiente est contrainte d’assigner l’ONIAM en indemnisation de ses préjudices.

La cour d’appel d’Aix en Provence décidera qu’aucune somme n’est due au titre de l’assistance par tierce personne temporaire lors de son hospitalisation, elle rejettera sa demande au titre des frais de logement adaptés et limitera l’indemnisation des frais de véhicule adapté au simple remplacement d’une boîte mécanique par une boîte automatique.

La patiente forme donc un pourvoi devant la Cour de cassation qui, au visa d’un arrêt de principe, retient les trois solutions suivantes :

D’abord, la Cour de cassation estime qu’au vu des dispositions du Code de la Santé Publique et du principe de la réparation intégrale sans perte ni profit pour la victime, il y a lieu d’indemniser la patiente au titre de son besoin en tierce personne pendant la période d’hospitalisation.

A cette occasion la Cour précise que l’assistance par tierce personne « ne se limite pas aux seuls besoins vitaux de la victime mais indemnise sa perte d’autonomie en la mettant dans l’obligation de recourir à un tiers pour l’assister dans l’ensemble des actes de la vie quotidienne. »

La deuxième solution dégagée par la Cour de cassation, également sous la forme d’un arrêt de principe, est de censurer la cour d’appel qui avait rejeté la demande d’indemnisation des frais de logement adapté de la victime alors même que l’Expert judiciaire avait admis que son logement actuel n’était pas facilement accessible à une personne en fauteuil roulant.

La demande de la patiente avait, en effet, été rejetée par la cour d’appel parce qu’elle n’avait pas justifié qu’elle avait accompli des démarches qui auraient permis qu’elle soit relogée de façon moins onéreuse que si elle avait acheté un nouveau logement.

Enfin, le raisonnement de la cour d’appel est également sanctionné sur la question des frais de véhicule adapté que la Cour avait limité au différentiel de coût d’acquisition entre un véhicule doté d’une boîte manuelle et un autre doté d’une boîte automatique.

La Cour de cassation considère que le handicap de la demanderesse justifiait qu’elle souhaite utiliser un fauteuil roulant et justifiait donc qu’elle doive transporter ce fauteuil roulant dans un véhicule utilitaire, seul apte à ce transport.

En limitant l’indemnisation au titre des frais de véhicule adapté au différentiel de coût entre une boîte automatique et une boîte manuelle, la cour d’appel n’avait pas réparé intégralement le préjudice de la demanderesse.

On ne peut que saluer cet arrêt de la Cour de cassation, précisément motivé, qui reflète ici une vision réaliste des multiples difficultés auxquelles se retrouve confronté une personne amputée à la suite d’un accident.

Le médecin peut écarter les directives anticipées

Conseil d’Etat, Juge des Référés, formation collégiale, du 19 août 2022, n°466082 et QPC n°2022-1022 du 10 novembre 2022

Le Conseil d’Etat vient de rendre un arrêt qui apporte des précisions utiles sur les directives anticipées et précisément sur la possibilité, offerte par l’article L. 1111-11 du Code de la Santé Publique, aux médecins, d’écarter les directives anticipées lorsqu’elles sont « manifestement inappropriées ou non conformes à la situation médicale ».

Il s’agissait d’un patient âgé de 44 ans, victime d’un polytraumatisme grave, compliqué par un arrêt cardio-respiratoire après qu’il ait été écrasé par un véhicule sur lequel il effectuait des réparations.

Ce traumatisme a privé le cerveau d’oxygène pendant 7 minutes.

Il est immédiatement admis au service de réanimation et le médecin en charge de ses soins, le place dans le coma le temps de stabiliser son état de santé.

Quinze jours après son admission, il est établi que ce patient souffre d’absence de réflexe du tronc cérébral (hormis le réflexe oculo cardiaque et un réflexe de ventilation spontanée mais insuffisant pour envisager de le sevrer de la ventilation mécanique), d’absence d’activité cérébrale et de lésions anoxiques sévères.

Après étude de sa situation, l’équipe pluridisciplinaire (neurologue, radiologue et membre du comité d’éthique du CHU, réanimateurs extérieurs) considère que son état est insusceptible d’amélioration et que la poursuite des thérapeutiques invasives constituerait une obstination déraisonnable au sens de l’article R. 4127-37-2 du Code de la Santé Publique.

Ainsi, les traitements apparaissent inutiles, disproportionnés ou sans autre effet que le seul maintien artificiel de la vie du patient.

Ainsi que le préconise la législation, une procédure collégiale est entamée, laquelle conduit à une décision d’arrêt des soins, qui est annoncée aux proches comme devant être mise en œuvre 8 jours plus tard.

La famille a alors saisi le Juge des Référés du Tribunal Administratif afin que soit suspendu l’arrêt des traitements, s’appuyant sur les directives anticipées du patient.

On peut préciser que ces directives anticipées étaient relativement récentes, puisqu’elles avaient été établies 2 ans après l’accident de celui-ci.

En raison de cette procédure, la procédure collégiale a été reprise, de nouvelles réunions, de nouveaux examens et des consultations extérieures sont menées et, à nouveau, le maintien des actes et des traitements est apparu à l’équipe médicale comme inutile et disproportionné.

Compte tenu de ces perspectives très négatives d’évolution et du fait que les thérapeutiques disponibles ne pouvaient plus apporter de bénéfices au patient, une nouvelle décision d’arrêt des soins, écartant les directives anticipées du patient, est prise 1 mois et demi plus tard par le chef du service de réanimation.

Le Tribunal Administratif a, dans un premier temps, rejeté la demande de suspension de cette décision.

Le Conseil d’Etat est donc saisi par la famille.

Les proches du patient décident de saisir le Conseil Constitutionnel d’une question prioritaire de constitutionnalité, laquelle donnera lieu à une décision du 10 novembre 2022.

Aux termes de cette décision, le Conseil Constitutionnel précise que les dispositions du Code de la Santé Publique, permettant aux médecins d’écarter les directives anticipées manifestement non applicable à la situation du patient, sont conformes à la Constitution et ne revêtent pas le caractère imprécis que lui prête les proches du patient.

En effet, le Conseil Constitutionnel rappelle que le législateur a estimé que le médecin pouvait écarter les directives anticipées que si elles sont « manifestement inappropriées ou non conformes à la situation médicale » du patient.

De ce fait, ces dispositions ne sont, selon le Conseil Constitutionnel, ni imprécises, ni ambiguës.

Le Conseil Constitutionnel considère également que la loi Léonetti a estimé que, si les directives anticipées pouvaient être écartées dans ces circonstances, c’était qu’elles étaient rédigées à un moment où la personne ne se trouvait pas encore confronté à la situation particulière de la fin de vie. Se faisant, le législateur a entendu garantir le droit de toutes personnes à recevoir les soins le plus appropriés à son état et assurer ainsi la sauvegarde de la dignité des personnes en fin de vie.

En d’autres termes, le Conseil Constitutionnel rappelle que la législation française, relative à la fin de vie, reste empreinte d’une trace de paternalisme.

Elle prévoit la situation dans laquelle les directives anticipées ne seraient plus à jour des volontés du patient ou inadaptées à la situation de santé qu’il présente, au moment où la décision d’arrêt des traitements est envisagée.

Reste à attendre la décision du Conseil d’Etat à la suite de la décision rendue par le Conseil Constitutionnel.

Il y a fort à parier qu’ainsi l’a jugé le juge de première Instance, il considèrera comme conforme, la décision d’arrêt des soins prise par le médecin de ce patient et écartera ses directives anticipées.