Cour d’appel de Versailles, 12ème chambre – section 1, 2 novembre 2006
Une société de référencement sur Internet est poursuivie par le groupe ACCOR notamment sur le fondement de la contrefaçon de marque. Le groupe hôtelier considère qu’est constitutif de la contrefaçon de marque le fait de permettre aux internautes d’utiliser comme mots-clefs des marques appartenant à ACCOR. La Cour d’appel de Versailles dans une décision du 2 novembre 2006, dont nous reproduisons un extrait ci-dessous, lui donne raison :
« Considérant que les sociétés OVERTURE se prévalant des dispositions de l’article L 713-6 du CPI font valoir que l’utilisation des marques du groupe ACCOR à titre de mots-clés de recherche et dans les liens promotionnels des annonceurs est nécessaire pour désigner les services authentiques fournis par ACCOR et commercialisés par ces annonceurs ou les informations correspondantes ;
Considérant qu’en application de l’article L 713-6 du CPI qui ne fait que reprendre sous une forme légèrement différente l’article 6 paragraphe 1 sous c) de la directive d’harmonisation, n°89/104 du 21 décembre 1988 l’usage de la marque par un tiers qui n’en est pas titulaire est nécessaire pour indiquer la destination d’un service commercialisé par ce tiers lorsqu’un tel usage constitue en pratique le seul moyen pour fournir au public une information compréhensible et complète sur cette destination afin de préserver le système de concurrence non faussé sur le marché de ce service ; que toutefois, cet usage doit être fait d’une manière à ne pas générer de confusion sur l’origine du service ou de manière à tirer indûment profit du caractère distinctif de la marque ou de sa renommée ;
Considérant par ailleurs que dès lors que la destination des produits ou services en tant qu’accessoires ou pièces détachées n’est donnée qu’à titre d’exemple, s’agissant comme l’a précisé la CJCE dans l’arrêt Gilette (arrêt du 17 mars 2005 paragraphe 32) de situations courantes dans lesquelles il est nécessaire d’utiliser une marque pour indiquer la destination d’un produit (ou d’un service), l’application de l’article L 713-6 paragraphe b) ne serait être limitée à ces situations ;
Considérant qu’un internaute recherchant un service ou un produit sur internet fait appel à des mots-clés et utilise des liens hypertextes ; qu’un annonceur qui souhaite avoir le plus de chance possible de faire connaître ses produits ou ses services doit pouvoir, comme dans toute opération publicitaire ou promotionnelle, être mis en mesure de pouvoir, en quelque sorte, disposer du meilleur emplacement, en offrant la meilleure enchère sur un mot-clé pour être référencé en première ligne quand l’internaute effectuera des recherches sur ce mot-clé ; que lorsque ce mot-clé constitue la marque d’un tiers, ce denier ne peut opposer ses droits à l’annonceur dès lors que celui-ci utilise le mot-clé pour fournir réellement, sur le territoire national, des services authentiques et qu’il n’utilise pas la marque comme une simple marque d’appel pour offrir en réalité des services d’une marque concurrente ; que l’usage du mot-clé pour offrir des services authentiques ne porte pas atteinte à la fonction essentielle de la marque dès lors qu’il a précisément pour objet de permettre à l’internaute d’identifier l’origine des services ; qu’en conséquence, la possibilité donnée par les sociétés OVERTURE aux annonceurs d’enchérir sur des mots-clés constituant des marques de la société ACCOR et le fait de commercialiser ces mots-clés, sans l’autorisation d’ACCOR, en se rémunérant d’une part par le versement d’une somme forfaitaire de 50 euros à titre d’avance lors de la réservation du mot, d’autre part, à chaque clic d’un internaute sur un lien sponsorisé, ne peut s’analyser comme un acte de contrefaçon que lorsque le lien sponsorisé ne donne pas effectivement accès à des services authentiques mais sert de marque d’appel pour présenter des services concurrents ou qu’il est utilisé sans respecter les usages loyaux du commerce ; que les droits privatifs dont ACCOR bénéficie sur les marques dont elle est propriétaire n’ont pas pour effet de lui conférer un monopole sur la réservation de chambres en ligne dans les hôtels de son groupe ;
(…)
Considérant que les sociétés OVERTURE et OVERTURE SERVICES en donnant aux annonceurs la possibilité d’enchérir sur des mots-clés qui constituent la reproduction des marques THALASSA, TICKET RESTAURANT, IBIS (pour OVERTURE), ETAP, ETAP Hôtel, SUITEHOTEL, MERCURE (pour OVERTURE SERVICES) de la société ACCOR, en commercialisant, moyennant rémunération et sans autorisation du groupe ACCOR, ces mots-clés pour leur permettre de créer des liens sponsorisés donnant accès non pas à des services authentiques mais à des services identiques à ceux couverts par les marques ACCOR et ce, sur le territoire français, se sont rendues coupables de contrefaçon de ces marques ; que les sociétés OVERTURE ne peuvent valablement prétendre avoir joué un rôle purement passif ou n’être intervenues que comme un technicien (OVERTURE SERVICES) dès lors qu’elles suggèrent ces mots-clés aux annonceurs, les invitent à porter des enchères sur ces mots, tirent un profit commercial lors de chaque utilisation de ces mots-clés, ont la possibilité de mettre fin à cet usage et se targuent de procéder à une vérification éditoriale standard ;
Considérant qu’ainsi que l’établissent les constats examinés ci-dessus, plusieurs recherches sur ces 7 mots-clés constituant des marques du groupe ACCOR ont déclenché des liens sponsorisés vers des sites pour la promotion d’hôtels ou de centres de thalassothérapie n’appartenant pas au groupe ACCOR ou vers des sites proposant principalement des hôtels concurrents, la marque ACCOR servant en quelque sorte de marque d’appel ;
Considérant en revanche que le seul fait de proposer un outil permettant de voir les recherches faites sur d’autres mots-clés tels que ACCOR, SOFITEL, NOVOTEL, ne peut être incriminé dès lors que la liste qui apparaît ne permet pas de vérifier si les mots qui apparaissent renvoient à des liens sponsorisés offrant des services dans des hôtels ou centres ne dépendant pas du groupe ACCOR ; que de même, c’est à juste titre que les premiers juges ont retenu que le seul fait de proposer à un annonceur potentiel de porter une enchère sur le taux de clic pour telle ou telle marque, tel que cela a été constaté par Me Krief les 23 et 24 juin 2004 ne constitue pas un acte de contrefaçon dès lors qu’il n’est pas démontré que l’une ou l’autre des sociétés OVERTURE ait effectivement commercialisé ce mot-clé auprès d’un annonceur pour qu’il offre sous ce mot des services susceptibles de porter préjudice à ACCOR ou de constituer une exploitation injustifiée de ces marques ;
Considérant en conséquence, qu’il convient de réformer le jugement entrepris et de retenir la responsabilité de la société OVERTURE pour contrefaçon des marques THALASSA, TICKET RESTAURANT et IBIS et celle de OVERTURE SERVICES pour contrefaçon des marques ETAP, ETAP HOTEL, SUITEHOTEL et MERCURE ;
Considérant que ACCOR ne justifiant d’aucun droit privatif en France sur les noms MOTEL6 et REDROOF, elle sera déboutée de ses demandes de ce chef ».